Philippe Baret – 2.11.2024
Un beau rêve peut conduire à des chemins ambigus. Oui, les formes d’inhumation et de crémation proposés aujourd’hui ont un impact environnemental. Oui, c’est le rêve de beaucoup de pouvoir retourner à la Nature, de pouvoir réintégrer le cycle de la matière organique.
De cette analyse et de ce rêve sont nés une idée, un concept : l’humusation. L’humusation peut prendre plusieurs formes mais, dans son acception la plus séduisante, elle consiste à placer la dépouille dans un tas de compost pour assurer sa décomposition rapide et aboutir à un humus qui pourrait rejoindre un jardin ou une forêt. L’image est magnifique : le retour à la Terre. Ce processus serait ensuite sans impact environnemental.
On comprend aisément que ce projet ait attiré des milliers de personnes, ait généré une communauté d’intérêts, des réunions, des expérimentations et même récemment un film, Compostez moi.
Il est d’autant plus triste de devoir dire que cela ne fonctionne pas et, plus interpellant encore, de penser que cela ne fonctionnera probablement jamais.
Expérimenter l’humusation
De bonne foi (même si certains le contestent), nous avons pas deux fois tester le processus d’humusation naturelle sur des cochons selon une approche scientifique . Après l’échec d’une première expérience qui reprenait pourtant les propositions des associations d’humusateurs, nous avons réalisés une seconde expérience. Différentes mesures ont été prises et l’ensemble a été financé par la Région wallonne (https://uclouvain.be/fr/sciencetoday/actualites/compostage-des-corps-une-fausse-bonne-idee-ecologique.html).
Dans les deux cas, le processus de décomposition était largement incomplet après plusieurs mois. Un phénomène de saponification a bloqué la première expérience. Lors de la seconde, la décomposition était insuffisante et des chairs en putréfaction encore présentes.
Plus interpellant, le relargage des fluides corporels au niveau du site d’humusation a conduit à une pollution à l’azote de la zone en-dessous des corps.
L’analyse des résultats laisse à penser que la composition même d’un corps a pour effet d’empêcher le compostage. Contrairement à de la matière organique végétale, un corps humain ou animal n’a pas une composition qui contribue naturellement au processus de décomposition. Face à ce dilemme, la solution serait soit d’aérer artificiellement le tas de compost, soit de procéder à des mélanges réguliers. Différents dispositifs basés sur ces approches plus artificielles se sont développées dans d’autres pays.
Réduire le décalage
Entre l’image proposée, le mythe d’un retour naturel à la Nature et les impossibilités de mettre en œuvre ces belles intentions, se crée un décalage qui est de plus en plus évident mais que certains s’acharnent à nier, à noyer dans un discours pseudo scientifique qui n’aide en rien la réflexion pour une méthode d’inhumation moins impactante.
S’acharner dans la mauvaise direction, prôner des fausses solutions, fait perdre du temps et de l’énergie à ceux et celles qui cherchent à créer un monde plus durable. Le rôle des médias dans la promotion de ces fausses solutions interpelle. Bien sûr cela fait de l’audience et de belles images mais avec quel horizon, pour quel projet ?
Pourquoi ne pas reprendre la réflexion ensemble sur l’impact des différents modes de sépultures en acceptant la complexité de la question et l’impasse que constitue l’humusation naturelle ? Pourquoi ne pas débattre en société de l’évolution des modes d’inhumation et de la part prise par la crémation ? Quelle est aujourd’hui l’impact environnemental global de ces pratiques funéraires ? Comment évolue cet impact ? Comment les mentalités changent-elles ? Autant de questions que cachent les quelques feuilles de l’humusation.
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