« La chasse est un mal nécessaire  » ou choisir sans débattre

« La chasse est un mal nécessaire ». Telle est la justification que donne la majorité communale de Nassogne pour refuser le projet Nassonia. Nassonia, porté par Eric Domb, voulait construire une nouvelle relation à la forêt, accompagner sa gestion, non dans une logique d’exploitation, mais dans une vision à long terme d’échanges de services entre la forêt et les hommes. La forêt vue comme un écosystème dont nous devons être le tuteur dans une relation de respect et d’échange. La mise en œuvre de cette vision nouvelle de l’interaction entre hommes et forêts n’aura pas lieu car « la chasse est un mal nécessaire ». Un mal nécessaire pour gérer la forêt car sans la chasse le gibier pullule, abime les arbres et met en danger une exploitation durable de la forêt. Or, pour un village d’Ardennes comme Nassogne, les revenus de la forêt constitue une part importante du budget communal.

Un point de vue rapide pourrait simplement réduire cette décision à l’affrontement de deux modèles : une vision à court terme privilégiant l’économique et un modèle traditionnel de gestion de la forêt, d’une part, et, d’autre part, un modèle utopique, ambitieux, à plus long terme mais présentant des risques comme toute trajectoire de rupture. Sans nier cette polarisation du débat, il me semble que le mal, nécessaire ou pas, est plus profond. Il tient à la dépendance au chemin qui verrouille les systèmes existants sur des trajectoires connues sans laisser la possibilité de penser une transition vers de nouveaux modèles.

Comme si la complexité des enjeux d’aujourd’hui, nous tétanisait dans une posture conservative. Si la logique économique est prise comme justification pour revenir à l’ordre ancien liant chasseurs, forestiers et administration communale de Nassogne, elle n’est qu’une logique apparente. La rationalité de l’argument économique n’est pas démontrée. Personne n’explique comment on va sortir du cercle vicieux où la maitrise de la grande faune sauvage des forêts passe par une chasse intensive d’animaux que l’on a préalablement nourris et protégés. C’est une forme d’équilibre, très poétique finalement, où on détruit volontairement ce que l’on a contribué à créer. C’est peut-être poétique et amusant mais d’une efficacité discutable, d’autant plus que le « problème » que constitue par moment la faune sauvage reste instable.

Comment expliquer que des gens intelligents, experts de la chasse et de la nature, continuent à soutenir un modèle dont la survie dépend d’un mécanisme aberrant. Il y a sans doute une part de mauvaise foi mais il y a aussi une certain vision de l’efficacité. C’est un système qui fonctionne, qui a fait ces preuves et qui peut apparaître comme efficace. Il l’est probablement à très court terme et sans prendre en compte la complexité des enjeux qui construisent aujourd’hui le triple lien entre l’économique, l’humain et la nature.

Les sociétés humaines sont en phase d’apprentissage rapide. C’est seulement depuis une quarantaine d’années que nous comprenons que nos actions sur notre environnement peuvent mettre en danger la vie à l’échelle planétaire. Que le destin des humains dans leur globalité est lié à notre capacité à repenser le lien à la nature. Les principes qui devraient guider nos actions ont changé mais nous peinons à changer les règles du jeu de nos relations en société.

A la fin du XXème siècle, les modèles de gestions économiquement monomaniaques étaient au premier rang de l’école pendant que quelques écologistes faisaient l’école buissonnière. De cette exploration du réel, ces écologistes reviennent aujourd’hui avec de nouvelles connaissances et de nouvelles exigences. Ceux qui tenaient le premier rang ont du mal à suivre. Il faudrait inverser la classe …

On se crispe, on ne veut pas aller au fond de la classe. Mais si le programme a changé, si les défis de notre société sont nouveaux, pourquoi ne pas simplement accepter d’apprendre de nouveaux modes de gestion, de penser autrement, d’expérimenter une autre vision de la forêt ? Pourquoi absolument s’accrocher à sa vision, à son premier banc, sans ouverture au débat, sans processus d’apprentissage ?

Pour rester au premier rang, pour être acteur du monde de demain, il y a une stratégie plus simple que la justification de modèle ancien dont l’efficacité s’effrite. Pour rester cohérent, on peut simplement apprendre les règles du monde nouveau : voir large, à long terme, penser de façon systémique, faire de la nature un allié et non une ressource que l’on exploite. Les règles sont assez simples, leur mise en œuvre n’est pas évidente mais ne pas accepter que les règles ont changé, c’est soit de la bêtise, soit de la mauvaise foi.

Dire que « la chasse est un mal nécessaire », ce n’est pas prendre parti pour un projet par rapport à un autre, c’est surtout, et c’est bien plus grave, démontrer que l’on ne sait pas où on va et qu’on est à court d’argument. Quelle chasse ? Quel mal nécessaire ? Quelles alternatives ? En rester à des simplisme, ce n’est pas choisir, c’est refuser de se donner les moyens de choisir.

La transition de nos sociétés n’est pas tracée, personne ne connait le chemin que nous prendrons, mais refuser de voir qu’il y a plusieurs chemins et d’en débattre intelligemment est sans doute la plus mauvaise solution.

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