Agriculture : les illusions de la compétitivité  

Selon le président de la FNSEA Xavier Beulin, il est nécessaire d’investir 3 milliards d’euros sur trois ans pour que l’agriculture française « retrouve la compétitivité perdue », face à certains de ses voisins européens, assure-t-il dans les colonnes du Journal du dimanche (JDD).

« La France doit se doter d’une vision à 15 ans de son agriculture. Il faut engager un vaste plan pour moderniser les bâtiments, automatiser les abattoirs, organiser les regroupements d’exploitations afin qu’elles soient plus productives », a-t-il ajouté, proposant également « un moratoire d’un an sur les normes environnementales » et « une adaptation des règles fiscales aux aléas de l’agriculture ».  Le Monde, 23 août 2015

 


Cette guerre de la compétitivité c’est une course à l’abime. Produire toujours plus, à coût de technologie, en agrandissant les fermes, pour diminuer les coûts et pouvoir ainsi se satisfaire de marges minimes. Un schéma hérité de la modernisation de l’après-guerre, basé sur un triptyque : dépendance aux intrants externes, standardisation des produits, course sans fin à la baisse des prix.

S’acharner à cette course à la compétitivité relève d’une double absurdité.

 D’une part, ce modèle du XXème siècle a perdu sa pertinence, il n’a aucun horizon au XXIème siècle ; les coûts environnementaux et sociaux du modèle agricole dominant actuel sont incompatibles avec les objectifs de durabilité des sociétés modernes. Des alternatives existent et se développent : agriculture biologique, agroécologie au sens fort. Mais, malgré leur pertinence entre terme d’équilibre entre productivité et impacts environnementaux et sociaux, elles restent dans l’ombre et ne bénéficient pas d’une soutien proportionnel à leur potentiel dans la perspective d’une transition des systèmes alimentaires. De plus, à force d’associer ces alternatives à des systèmes très marginaux et à petite échelle, on en vient à oublier la diversité des façons de produire au sein des systèmes actuels. La transition se fera avant tout avec les agriculteurs d’aujourd’hui. Car une quête de sens est aussi au cœur de la révolte qui gronde : comment donner sens au métier d’agriculteur dans un modèle construit sur la seule motivation économique à court terme dans une compétition permanente entre pays mais aussi entre agriculteurs ?

La seconde absurdité de cette course à la compétitivité est que, dans cette fuite en avant, la France, et l’Europe en général, est sure de perdre ! Nos structures agricoles, nos paysages, la taille de nos fermes, les exigences sociales et environnementales que réclament, à raison, les sociétés européennes, sont autant de boulets et de freins qui nous ralentissent face aux machines de guerre nord et sud américaines et asiatiques. Les subsides et l’argent débloqué en urgence quand brûlent quelques pneus, ne sont que des cache-misères (voir le reportage d’Arte). A la grande course au produit le plus standard au prix le plus bas, l’Europe n’a aucune chance.

Par contre, elle a des atouts dans son jeu : savoir-faire des agriculteurs, diversité des terroirs, des variétés et des races, produits de qualité et différenciés, lien au consommateur et au citoyen. Ces éléments ne répondent pas à l’antienne de la compétitivité. On reconnaît du bout des lèvres ces atouts, on les subsidie mais on les confine à un statut annexe, à une espèce de petit paradis pour privilégiés, alors que les poids lourds, notamment syndicaux, continuent à asséner sous les projecteurs les slogans du siècle passé : produire plus, maintenir les prix bas, hiérarchiser l’environnement aux dimensions économiques.

Sur la longue ligne droite de l’agriculture industrielle, la course est perdue. Pourquoi y engloutir encore des milliards d’euros ? Si certains veulent continuer à jouer qu’il le fasse avec leurs propres ressources, avec les dividendes de l’industrie agro-alimentaire. Si des ressources nouvelles sont disponibles, pourquoi ne pas investir sérieusement dans le soutien à la diversité des systèmes alternatifs en aidant financièrement mais aussi réglementairement et intellectuellement, les agriculteurs et leurs réseaux qui veulent développement des agricultures nouvelles ?Des formes d’agricultures qui s’appuient sur les ressources locales, qui privilégient le long terme et l’autonomie, le maintien des ressources écologiques, la sobriété énergétiques et la réduction de l’usage des pesticides et herbicides et des pollutions qui en découlent. Si des agriculteurs produisent aujourd’hui du lait et de la viande à l’herbe, des légumes biologiques, des céréales de qualité en association avec des légumineuses, ce n’est pas par goût du passé ou de l’originalité, c’est qu’ils y trouvent une valeur ajoutée, celle d’une agriculture européenne, riche de diversité, de savoirs et d’une lien fort et direct  avec le consommateur. C’est de cette compétitivité basée sur nos vrais atouts dont l’Europe a besoin.

1 Commentaire

  1. Beulin FNSEA/Sofiproteol veut encore des sous publics ! ses troupes détruisent des biens publics, ses céréaliers raflent la plus grande partie des aides PAC, il a participé à la suppression des quotas laitiers, il a fait pression contre une répartition plus juste et plus durable des primes et le vampire veut encore du sang des contribuables pour copier des modèles productivistes destructeurs et dépassés .
    Il faut revoir complètement la mesure de compétitivité, car elle ne tient pas compte des nombreuses externalités négatives (social, environnemental, santé, qualité,..) de l’élevage industrialisé payées par les contribuables/ consommateurs. La soi-disante compétitivité actuelle n’est souvent qu’un surf sur un manque d’harmonisation fiscale et sociale dans l’UE alors qu’on a un marché unique. Industrialisation + priorité export de l’élevage = voie sans issue et + de réchauffement.

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